Nathalie Sécardin

Les « on » en peinture
Pour le dire de façon imagée, avec les « on », je tisse une toile vivante, anonyme, texturée, bigarrée, animée par une profusion de gens dont chaque entité exprime une singularité.
C’est bien sûr un paradoxe : un « on » peut-il exprimer une identité ?
Si dans le monde commun, chaque individu cherche à « exister », pour affirmer sa subjectivité, au nom de ce bien propre qui lui est essentiel : le « moi » (pour les psychiatres ou le « soi » pour Paul Ricœur). Il ne viendrait à personne l’idée de s’identifier à un « on », pour revendiquer sa personnalité, quand il est plus spontané de dire « je ».
Pourtant, derrière le « je », il y a un écueil métaphysique, celui du «je pense donc je suis » de Descartes (le cogito). L’expression semble justifier le sujet individuel « je », au sens de mon individualité, alors qu’elle dit simplement, que de manière universelle, la pensée est le propre de « l’identité humaine ».
Bon, c’est quoi le rapport à la peinture ?
Les « on », sont des entités picturales en relief. D’un point de vue plastique, la maille du « on » est fluide, ronde, c’est une onde qui absorbe sa voisine et va à la rencontre de l’autre. Faire des lignes de « on » cela me rappelle le point mousse dans le tricot.
D’un point de vue symbolique, je cherche à créer une dualité entre le « je » et le « on ». La simple présence du « on », suscite un climat d’inquiétude philosophique qui donne de l’épaisseur à la texture. Quand bien même on ne sait pas quoi en penser et d’ailleurs, il n’y a pas lieu de chercher à répondre au sujet, c’est juste là, pour marteler une présence.
Sur un plan philosophique et littéraire, cela ouvre à bien des histoires, entre autres, celle de la disparition du sujet, de la mort de l’auteur qui ouvre à la naissance du lecteur (Roland Barthes). Ainsi qu’à l’interprétation du « on » en tant que signe linguistique, dans le langage parlé, le discours littéraire et scientifique. Un « on » polyphonique qui fait tenir toutes les voix.
Pour revenir au fait de peindre des « on ». Je les organise dans la toile : en tas (entassés), en assemblée, en essaim, en tourbillon, en me concentrant sur le mouvement des lettres qui se lient les unes aux autres. Chaque « on » est une pulsation, une vibration qui fait écho à la précédente, pour exprimer une vie indéterminée au sens d’« être vivant ». Je m’inspire du mouvement des grues qui passent dans le ciel pour évoquer celui des pérégrinations humaines dans l’existence.
Les « on », selon les circonstances, c’est un espace propice à la méditation, une transe hypnotique, un ouvroir philosophique ou une manière de tricoter la vie.